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Crise post-électorale : Le Conseil constitutionnel peut-il prononcer l’annulation des élections ?

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Sous fond de discrédit total de cette haute institution judiciaire et de l’organe en charge de l’organisation des élections, les Camerounais attendent le verdict d’une élection présidentielle fortement critiquée par des tripatouillages grossiers.

Le moins que l’on puisse dire est que le Conseil constitutionnel joue l’instabilité du Cameroun à la roulette russe. Selon des informations parties de la Commission nationale de recensement des votes, son Président Emile Essombe a déjà bouclé son travail et porté ses conclusions au Président du Conseil Constitutionnel après quelques jours de compilation des données remontées à son niveau. Selon ces informations, le vainqueur de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025 serait Paul Biya qui l’a remporté avec 52% des suffrages, loin devant Issa Tchiroma Bakary qui pointerait à 39%.

C’est beaucoup moins que les scores soviétiques auquel la machinerie du système Biya nous a habitués, mais c’est loin de ce que plusieurs observateurs croient être la vérité des urnes. Partout où les décomptes étaient observables, notamment dans les centres urbains, le rejet de Paul Biya était certain. On l’a même vu obtenir des scores inférieurs à 10% dans de nombreuses localités, ce qui est plutôt peu flatteur pour un chef de l’Etat en exercice.

En revanche, là où l’observation était moins évidente, notamment pour cause d’insécurité dans les zones en guerre ou aussi dans les contrées éloignées où les observateurs et les candidats n’ont pas pu déployer des représentants, les données remontées font état des scores de quasi 100% en faveur du président Paul Biya, jetant ainsi la suspicion sur des résultats qui sont entachés de fraude.

Ce que ces élections ont surtout montré, c’est la détermination de Paul Biya à rester au pouvoir quoi qu’il en coûte. Il n’a manifestement  jamais un seul jour envisager de “retourner au village” comme il l’avait dit à des journalistes français qui lui demandaient s’il ne croyait pas qu’il était bon de penser à une reconversion après plus de 40 ans d’exercice du pouvoir. Il a choisi de rester par la ruse et la force et plus encore par la fraude électorale dont les contours historiques et scientifiques font partie du jeu électoral au Cameroun depuis la colonisation.

Des manuels d’histoire et surtout le rapport de la commission Ramondy qui parle de la perversion coloniale française au Cameroun de 1945 à 1971, montre comment depuis cette époque, des manœuvres étaient ourdies pour priver les Camerounais du droit de choisir leurs dirigeants. Tout un catalogue y est décrit allant des méthodes les plus soft à celles qui se disputaient avec les violences les plus barbares. Après avoir écrasé la rébellion des nationalistes de l’Upc, la France a accordé l’Indépendance à ceux qui la désiraient le moins, puis les a aidés à asseoir leurs pouvoirs au moyen de ces méthodes scélérates dont les survivances ont été observées le 12 octobre 2025 dernier. Nous en citerons deux : le piège administratif et la technique des réserves de voix.

L’une de ces techniques de fraude est d’utiliser tous les artifices possibles pour éliminer les candidats les plus redoutables avant même que l’élection ait pu se tenir, ceci au moyen d’un égarement dans un labyrinthe administratif. En l’espèce, le Mrc et son leader le Pr. Maurice Kamto étaient les candidats les plus redoutés à cette élection présidentielle. Partant du fait que Maurice Kamto et le Mrc avaient boycotté les élections municipales et législatives précédentes et donc ne disposant d’aucun élu, le président Paul Biya s’est arrangé à repousser les élections suivantes dans le but de tenir l’élection présidentielle avant, c’est à dire avant que son principal rival n’ait retrouvé les conditions lui permettant de participer à cette élection.

N’entendant pas se faire voler sa participation, Maurice Kamto a allumé un grand feu de diversion sur le “mandat impératif” (du fait que son parti revendiquait maintenant des élus d’autres partis qu’il avait débauchés pour en faire des membres du Mrc) avant d’abattre le joker de son investiture par le Manidem, un parti habilité à le présenter. Tout le monde a vu le déploiement qui s’en est suivi pour justifier son élimination malgré tout, quitte pour cela à voir un ministre pirater son propre site internet pour changer les dirigeants du Manidem.

La deuxième technique de fraude bien mise en avant dans ce scrutin est celle dite des réserves de voix que le colon français a mise en exergue dès les élections de 1956. Elle est généralement appliquée dans un scrutin à plusieurs circonscriptions où seul l’organisateur  est à même de tout contrôler. Dans un premier temps, on fait d’abord compter les voix là où l’adversaire est le plus présent et a des avantages et une fois que l’écart est arrêté, on organise le “rattrapage” avec les voix qui viennent de la partie qu’il contrôle le moins. Dans ce schéma de fraude au Cameroun, le grand Nord a toujours joué un rôle de “complice”, de 1956 à 2018 avant d’en être la victime en 2025 avec l’irruption de Issa Tchiroma Bakary, un candidat du coin, réputé bénéficié des voix de la région.

Qu’on se souvienne en 1992, on avait commencé par donner les scores des centres urbains de Douala et Yaoundé puis du Nord-Ouest et l’Ouest favorables à John Fru Ndi avant que les voix du Grand Nord ne soient prises en compte pour inverser les tendances.

Au finish, après de longues semaines de tripatouillage, le régime de Paul Biya l’avait déclaré vainqueur par 39% des voix contre 36% au leader du Sdf. Avec le recul, on peut imaginer aujourd’hui l’ampleur de la défaire du Président sortant !

Pour 2025, la même technique est sortie du coude. Les fuites ont commencé par les résultats du Grand Nord où Paul Biya ne pouvait pas échapper à la défaite. On a donc vu l’écart des voix à combler. Etant plus difficile de les obtenir dans les centres urbains où la surveillance est plus facile, il a fallu forcer les traits ailleurs. Dans certaines localités reculées où Paul Biya avait perdu, on a fabriqué de nouveaux PV toute honte bue. Là où le grotesque l’a emporté sur la fraude c’est quand l’organe chargé de l’organisation des élections a présenté des rapports faisant état de taux de participation de 100% ou presque dans des zones en guerre, les morts, les déplacés et les exilés ayant voté malgré eux et naturellement pour le candidat Paul Biya !

En fait, outre l’inversion des foyers de la fraude (le Grand Nord qui s’est rebellé à son tour), c’est surtout la forte mobilisation qui a pris de court les architectes de la fraude institutionnelle au Cameroun, mettant à découvert et au grand public, un système dépassé par l’éveil de conscience des camerounais.

Des pressions occidentales se font en ce moment pour annuler ce scrutin afin de faire éloigner le spectre d’une crise postélectorale aux conséquences économiques et géo stratégiques dramatiques, mais à priori il est difficile d’imaginer que Paul Biya et le Conseil Constitutionnel qu’il a sous sa botte, puissent changer ce qu’ils avaient prévu et que les électeurs ont détourné.

Michel Eclador PEKOUA

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